"Les taulards z'ont qu'à bosser ! Comme tout le monde ! Et puis c'est tout!" Et un enchainement sans queue ni tête sur les vertus du travail qui serait "un fabuleux outil contre la récidive". Pour aboutir à la conclusion que la réinsertion d'un prisonnier passe nécessairement par le travail. Avec l'idée sous-jacente qu'un détenu qui ne travaille pas est un individu qui ne cherche pas à se réinsérer.
Voilà en accéléré, ce que j'ai mangé, vendredi dernier, dans ma tête de grand niais ! Un vieux ragoût de citoyenneté, trop cuit et bien mal assaisonné... d'où cette petite remontée.
Bon c'est vrai, le taulard il a le choix, elle est quand même belle notre démocratie : le travail des détenus n’est plus obligatoire en France depuis 1987! Il se fait sur la base du volontariat. Mais quel volontariat? Un détenu qui n'a pas d'aide extérieure est bien obligé de gagner de l'argent pour "cantiner" et pour avoir un maigre pécule à la sortie. Et c'est là que ça se corse pour eux... Les détenus ne sont pas des salariés, ils n'ont pas de contrat de travail, ils ne bénéficient donc d'aucun avantage octroyé par le code du travail. Trop long d'énumérer la liste mais facile d'imaginer : pas de congés payés, pas d'indemnité en cas de maladie, d'accident du travail, ou de licenciement, de chômage. Pas de possibilité de saisir les Prud'hommes en cas de litige. Les mêmes droits qu'un travailleur "au black"! Nada. Evidemment, il existe quelques exceptions puisque certains prisonniers sont autorisés à travailler à l'extérieur des murs, auquel cas, ils bénéficient des avantages liés à la signature d'un véritable contrat de travail.
Allez, petite question basique : le salaire horaire minimum en prison? C'est combien? Une petite idée? 3 et quelques euros (et même jusqu'à 3,50 euros en centre de détention), soit environ 45% à 50% du salaire minimum à l'extérieur.
Les temps partiels sont légion en prison, en gros 25 heures par semaine. Le calcul est vite fait : 25 x 3,50 x 4,33 = autour de 400 euros par mois.
Pas de moyen d'expression évidemment. Un syndicat? Et puis quoi encore...! L'état ne badine pas : travaille pour survivre et tais-toi!
Certaines entreprises considèrent le travail pénitentiaire comme une variable d'ajustement. Les ateliers de détenus offrent dans certains cas les caractéristiques d'un sous-traitant idéal. Les salaires bas et l'absence de droit du travail garantissent la flexibilité et la servilité de l'employé. Le prisonnier est au niveau compétitivité aussi intéressant qu'un étranger sans-papiers si souvent décrié. La disponibilité et la réactivité du détenu est aussi est un atout non négligeable, il est très intéressant de pouvoir moduler à souhait le temps de travail (journalier, hebdomadaire et mensuel): les entreprises peuvent ainsi réagir très vite à une commande. Evidemment, lorsque les carnets de commande sont vides, les ateliers de détenus sont les premiers sous-traitants sacrifiés au nom des fluctuations du marché... L'état, en bon partenaire économique, organise le travail dans ses prisons en fonction d'intérêts uniquement privés.
Certains détenus sont des sous-hommes à qui l'état dédaigne octroyer un salaire de subsistance en l'échange d'un travail pénible et sous-payé. Un taulard, ça n'a pas de droit, ça n'a que des devoirs. Voilà un bon message pour entamer un parcours de réinsertion.
THS
A lire sur le sujet :
Gonzague RAMBAUD, Le travail en prison, enquête sur le business carcéral, Ed. Autrement, Paris, 2010 (19 euros).
Loïc WACQUANT, Les prisons de la misère, Ed. Raisons d'Agir, Paris, 1999 (8 euros).